Dès que les enfants gagnent un peu d’autonomie, vivent leur vie, naviguent seuls sur le Web et se font des amis qu’on ne connaît pas, l’ombre de l’exploitation sexuelle traverse l’esprit de plusieurs parents. D’autres, au contraire, ne sont pas assez méfiants par rapport aux situations de la vie courante qui pourraient mal tourner pour leurs enfants.
En cette ère du numérique, les menaces qui planent sur nos jeunes sont encore plus nombreuses et insidieuses qu’avant. D’ailleurs, depuis 2015, le nombre d’infractions liées à l’exploitation sexuelle n’a cessé d’augmenter au Québec. En 2018, 36 % des personnes victimes de ces crimes étaient mineures. Et la vaste majorité d’entre elles étaient de jeunes filles ou des adolescentes.
L’exploitation sexuelle commence souvent sans avertissement. C’est pourquoi le gouvernement du Québec vient de lancer une campagne de communication pour sensibiliser la population, en particulier les jeunes et leurs parents, aux pièges et aux conséquences de ce triste phénomène.
Comme la sensibilisation passe également par l’information, je saisis l’occasion, en cette Semaine nationale de la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs, de démystifier avec vous ses différents visages.
L’exploitation sexuelle, c’est quoi?
Exploiter sexuellement une personne, c’est profiter de son
corps à des fins sexuelles pour en tirer un avantage. Cet avantage peut être
financier, comme c’est souvent le cas, ou lié à la satisfaction des besoins
sexuels. L’individu qui exploite sexuellement une personne profite généralement
de l’état de vulnérabilité ou de dépendance de cette dernière et exerce un
contrôle sur elle par la manipulation ou la violence.
Quand on pense à l’exploitation sexuelle, on pense très
souvent à la prostitution et aux proxénètes (les pimps) qui tirent profit de personnes prostituées travaillant pour
eux. Mais l’exploitation sexuelle peut prendre bien d’autres visages. C’est
pourquoi elle est difficile à cerner, surtout avec l’usage massif des
technologies numériques et d’Internet.
En effet, le nombre d’infractions liées à la pornographie
juvénile et à la publication d’images intimes de personnes mineures dépasse de
loin celui attribuable au proxénétisme et à la traite de personnes.
Recrutement et contrôle de la victime
Peu importe la situation, l’exploiteur profitera de la
vulnérabilité d’une personne pour l’amener à offrir des services sexuels.
Parfois, il jouera la carte de l’amour ou couvrira sa jeune
victime de cadeaux. Suivra ensuite un épisode de manipulation où le proxénète
demandera un soutien financier à sa victime.
De plus en plus souvent, le recrutement se fait en ligne,
sur des plateformes comme TikTok, Instagram ou Facebook. D’où l’importance de
se méfier des nouvelles rencontres virtuelles.
Parfois, le proxénète peut fournir de la drogue à la
personne victime à la condition qu’elle se prostitue pour son compte sous
prétexte de payer ses dettes de consommation.
La manipulation et la violence peuvent aussi être plus
directes. Il peut s’agir de violence physique, psychologique ou sexuelle. La jeune
victime peut être battue, séquestrée, privée de nourriture. Elle peut se voir
retirer ses papiers d’identité, se retrouver impliquée dans des crimes, se
faire frauder. Tous les moyens sont bons pour les exploiteurs afin de garder le
contrôle sur leur victime et pour les maintenir en situation d’exploitation
sexuelle.
Ce qui accentue la vulnérabilité des personnes victimes
Bien que personne ne soit à l’abri de ce phénomène, les filles
sont beaucoup plus susceptibles que les garçons de subir de la violence ou de l’exploitation
sexuelle. Elles représentent 98 % des personnes victimes de proxénétisme
et de traite de personnes, et 84 % des victimes de partage d’images
intimes.
Mis à part le sexe de la personne, le fait d’avoir déjà subi
des abus physiques, psychologiques ou sexuels ou d’avoir grandi dans un
environnement familial instable est le principal facteur de vulnérabilité. D’ailleurs,
70 % des jeunes victimes racontent avoir subi pour la première fois de l’exploitation
sexuelle lors d’un épisode de fugue.
La consommation de drogue ou d’alcool est un autre facteur
de vulnérabilité important. À tel point que l’abus de ces substances multiplie
par trois le risque d’exploitation sexuelle.
Les personnes des minorités ethnoculturelles, surtout celles
qui viennent de s’établir au Québec, ainsi que les personnes inuites et des
Premières Nations risquent aussi beaucoup plus d’être victimes de ce phénomène.
Mais nous devons garder en tête que même si une personne a grandi
dans une famille sécurisante et n’a subi aucun abus, un déménagement dans une
nouvelle ville ou un nouveau pays, une rupture amoureuse ou tout autre
événement stressant peut accroître le risque. Une mauvaise influence des pairs
et une faible estime de soi peuvent aussi exposer la jeune personne à une
situation d’exploitation sexuelle.
Il est donc primordial de rester attentif à une ou un jeune
qui traverse une période difficile ou qui se trouve en situation de
vulnérabilité. Les nouvelles fréquentations sont également à surveiller,
surtout si elles semblent d’une générosité exagérée.
Dangers et conséquences de l’exploitation sexuelle
Malheureusement, il est très difficile pour une personne qui
tombe dans le piège de l’exploitation sexuelle de s’en sortir et de reprendre
le contrôle de sa vie.
La plupart des personnes qui ont vécu de l’exploitation
sexuelle souffrent du syndrome de stress
post-traumatique. De plus, elles risquent beaucoup plus de vivre d’autres
enjeux, notamment des problèmes de santé mentale, de l’itinérance, de la toxicomanie,
de la marginalisation et des difficultés d’intégration sociale.
En outre, leur taux de mortalité est nettement supérieur à
la moyenne de la population canadienne.
Si vous avez des doutes
Peut-être avez-vous des doutes ou des inquiétudes concernant
la sécurité d’une personne que vous côtoyez. Il peut s’agir de votre enfant, d’un
membre de votre famille ou encore d’une connaissance. Il peut également s’agir
de vous. On peut très bien se retrouver en situation d’exploitation sexuelle
sans en être pleinement conscient. Quel que soit votre situation ou votre degré
d’inquiétude, n’hésitez pas à vous renseigner ou à demander de l’aide. Vous
trouverez de l’information et les coordonnées de plusieurs ressources sur la
page Exploitation
sexuelle de Québec.ca.
Vous pouvez également communiquer avec la ligne Info-aide
violence sexuelle (1 888 933-9007) afin d’obtenir de l’écoute, des
informations et de l’orientation. Cette ligne est gratuite et confidentielle.
Depuis l’adoption de la Loi visant à aider les
personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement
(LAPVIC), davantage de personnes victimes peuvent être reconnues comme telles
au regard de la Loi et ont droit à du soutien. C’est le cas notamment des
personnes victimes de harcèlement criminel, de menace, d’exploitation sexuelle
ou de traite de personnes. La nouvelle Loi assure également une aide
financière d’urgence (AFU) pour les personnes victimes de ces types de
violence, incluant l’exploitation sexuelle.
Pour en apprendre davantage sur les actions entreprises pour
lutter contre ce triste phénomène, consultez le Plan
d’action gouvernemental 2021-2026 en réponse aux recommandations de la
Commission spéciale sur l’exploitation des mineurs, élaboré par le ministère
de la Sécurité publique et dont le ministère de la Justice est responsable de
plusieurs mesures.
Pour terminer, afin d’éclaircir davantage ce délicat et
troublant sujet, je vous propose quelques définitions en lien avec l’exploitation
sexuelle des mineurs.
À très bientôt!
Marie-Andrée, avocate
Conseillère et porte-parole du Ministère
Lexique sommaire de l’exploitation sexuelle
Prostitution
La prostitution est le fait d’offrir des services sexuels
contre rétribution, généralement de l’argent, mais parfois en services, en
drogues, etc. Sont également considérés comme de la prostitution les services
sexuels offerts sur le Web par le biais d’une caméra. Bien que certaines
personnes décident de faire de la prostitution, la plupart du temps, les
personnes prostituées sont sous l’emprise d’un exploiteur qui leur soutire des
profits pour son compte personnel, pour un gang de rue ou pour le crime
organisé.
Exploiteur
Un exploiteur est une personne qui oblige par différents
moyens une autre personne à offrir des services sexuels et qui, le plus
souvent, s’octroie une partie ou la totalité de ses gains. Il use souvent de manipulation
et de violence physique, psychologique ou sexuelle pour garder le contrôle sur
sa ou ses victimes.
Ces personnes peuvent prendre plusieurs formes :
- le conjoint ou la conjointe
- un ami ou une amie
- un « protecteur » ou une
« protectrice »
- un ou une pimp (terme anglophone pour
proxénète)
- un ou une proxénète
- un trafiquant ou une trafiquante
- un sugar daddy
- etc.
Traite de personnes
La traite de personnes implique le recrutement, le
transport, le transfert, la réception, la détention, la dissimulation ou l’hébergement
de personnes ou encore l’exercice d’un contrôle, d’une direction ou d’une
influence sur leurs mouvements dans le but de les exploiter ou de faciliter
leur exploitation. On peut parler d’une forme d’esclavage moderne.
Ce phénomène n’implique pas forcément de déplacer les
personnes dans une autre ville ou un autre pays. Or, il arrive malheureusement
que des enfants ou des adolescents soient achetés dans des pays étrangers et
que la transaction soit déguisée en mariage, en offre de travail au pair ou en
mentorat, par exemple. Ce phénomène représente environ 10 % des cas de
traite provenant d’un autre pays au Canada.
Marchandisation des
activités sexuelles
Le Code criminel
proscrit la marchandisation des activités sexuelles. Toutefois, depuis l’adoption
de la Loi
sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation,
les personnes prostituées sont protégées de poursuites criminelles lorsqu’il s’agit
de leurs propres services sexuels.
La marchandisation de services sexuels correspond notamment
à l’achat de services sexuels ainsi qu’à toute communication à cette fin. Elle
implique aussi le fait d’offrir, de rendre ou d’obtenir des services sexuels dans
un endroit public comme une garderie, un terrain d’école ou un terrain de jeu.
La marchandisation inclut également le fait de faire
sciemment de la publicité pour offrir des services sexuels moyennant
rétribution (Web et autres).
Pornographie juvénile
La pornographie juvénile est une
forme d’exploitation sexuelle des personnes mineures. Elle s’incarne par le
fait qu’une personne visionne, possède, produit ou distribue (sur Internet ou
par un autre moyen) du matériel (photos, vidéos, audio, écrit) représentant des
parties du corps de personnes mineures aux fins de satisfaction sexuelle, ou
représentant des personnes mineures se livrant à une activité sexuelle.
De même, le partage d’images intimes d’une personne sans son
consentement est également considéré comme de la possession de pornographie.
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